Alexandre Renaud et sa femme au milieu des GIs du 508th PIR 82nd Airborne
"Nous venions de nous étendre sur nos lits et commencions à sommeiller quand de violents coups heurtèrent la porte de la maison. Je me levai. On venait m'avertir que le feu dévorait une villa, de l'autre côté de la place, à l'entrée du parc de la Haule(parc ou se trouve le musée ).Les pompiers esssayaient en vain de maîtriser l'incendie. On fit la chaîne jusqu'à la pompe du marché à veaux.
Les hommes couraient, leurs seaux de toile à la main, et en jetaient le contenu dans un grand baquet. Au travers des bosquets, on apercevait de grandes ombres qui s'affairaient. Le vent courbait les flammes et des parcelles de papier et de foin embrasées tourbillonnaient vers une grange située vingt mètres plus loin et garnie de paille et de bois. Dans les airs, les gros bombardiers passaient en vagues lourdes d'ouest en est. Les mitrailleuses croisaient leur feu au dessus de nous., et des centaines de grosses mouches lumineuses sifflaient, miaulaient et chuintaient, claquant parfois sur les murs de la maison en flammes.
Les Flak, en tenue de combat, l'arme chargée, nous regardaient. Les éclatements de grosses bombes, au loin, ébranlaient la terre. Soudain, le tocsin sonna, triste, lugubre, à coups précipités. Le malheur était sur Sainte Mère Eglise et la cloche appelait à l'aide. A ce moment précis, de gros avions de transport, tous feux allumés passèrent en rase-motte au dessus des arbres, d'autres suivirent immédiatement, puis d'autres encore... ils arrivaient de l'ouest en longues vagues, presque silencieux, et leurs grandes ombres se projetaient sur la terre.Soudain, de gros confettis sortirent de leurs carlingues et descendirent rapidement vers la terre.
Des parachutistes ! ... Le travail de pompe s'interrompit, toutes les têtes se levèrent, les Flak ouvrirent le feu. Tout autour de nous, les parachutes s'abattaient lourdement sur le sol. Aux lueurs de l'incendie, nous apercevions distinctement l'homme, qui au bout de ses cables, manoeuvrait son parachute. L'un d'eux, moins habile peut être, vint s'écraser au milieu des flammes. Des étincelles jaillirent et le feu devint plus ardent. Un autre atteint par les balles eut une violente contraction des jambes ; ses bras levés s'abaissèrent. Le grand parachute gonflé par le vent violent, roula longtemps sur la prairie l'homme qui ne résistait pas : c'était un mort...
Dans un vieil arbre tout couvert de lierre, un grand voile blanc pendait, et à son extrémité, nous vîmes remuer un homme. Agrippé aux branches, doucement, comme un reptile, il descendait. Puis il essaya de détacher sa ceinture, les Flak l'aperçurent. A quelques mètres, les mitrailleuses firent entendre leur crépitement sinistre ; les mains du malheureux retombèrent, le corps oscilla et pendit mollement au bout de ses câbles. Devant nous, à quelques centaines de mètres de la scierie, un gros avion de transport s'écrasa au sol, et bientôt un deuxième incendie fit rage. Le tocsin lançait toujours son appel d'alarme. Nous étions maintenant en pleine zone de tir de la mitrailleuse du clocher et les balles claquaient sur le sol, non loin de nous.
La nuit était douce, et la lune la déchirait en larges bandes de lumière. Pendant ce temps, à la pompe, un parachutiste surgit brusquement de l'ombre, au milieu des nôtres. Il braqua sur nous sa mitraillette, mais se rendant compte que nous étions des Français, il ne tira pas. Une sentinelle allemande cachée derrière un arbre poussa un grand cri et s'enfuit à toutes jambes. Le parachutiste essaya de poser quelques questions, mais personne dans ce groupe ne parlant Anglais, il traversa la route et se perdit dans la nuit. Au-dessus de l'incendie, sans arrêt, les grands avions glissaient et jetaient leurs cargaisons humaines de l'autre côté du cimetière. Bientôt les Flak, réalisant l'importance de l'évènement, nous donnèrent l'ordre de rentrer au plus vite. Sur la place, un soldat allemand nous croisa : - Parachutistes "Tommies', tous kaput !!!.. nous dit-il. Et il tint à nous montrer le corps d'un homme étendu près de son parachute"...
Alexandre Renaud
Sainte Mère Eglise, première tête de pont Américaine
Editions O. Pathé, 2ème trimestre 1955.
A suivre ..........